ALIMENTATION

DÉCRYPTAGE | Le système alimentaire est confronté à de multiples défis : émissions de gaz à effet de serre, stockage carbone, disponibilité de la ressource en eau…

I - L'agriculture au cœur du système alimentaire ligérien

La production agricole se distingue par la part du territoire qu’elle occupe, le nombre de personnes qu’elle emploie et la prédominance de l’élevage et des filières dédiées.

Une production dominée par l’élevage et néanmoins diversifiée

Dans les Pays de la Loire, la production agricole se distingue au moins sur trois plans : la part du territoire qu’elle occupe soit 68 % des sols contre 52 % à l’échelle nationale [REF] ; le nombre de personnes qu’elle emploie, soit 3,4 % des actifs contre 2,3 % à l’échelle du pays[REF] ; la place prédominante de l’élevage et des filières qui lui sont dédiées, de la production de fourrage en amont à la production de lait en aval. Et c’est sans compter la production marine qui occupe la deuxième place (derrière la Bretagne) en termes de valeur des ventes provenant de la pêche.[REF]

De la même façon, quelques chiffres suffisent à montrer l’importance des Pays de la Loire dans le système alimentaire français puisqu’à elle seule, la région représente près d’un quart de la production nationale de volaille, plus de 17 % de la production de viande bovine, environ 16 % de la production laitière (vache et chèvre) ou encore 11 % de la production fruitière.[REF]

Avec 44 % du volume de la production agricole, 69 % du chiffre d’affaires et 80 % des exploitations[REF], l’élevage domine largement le secteur agricole de la région où la filière occupe près de 70 % des terres, notamment pour y produire les fourrages et céréales destinés à l’alimentation animale.[REF] Cependant, on retient aussi du secteur agricole des Pays de la Loire la diversité de ses filières végétales, puisque la région produit ensemble des céréales et oléo protéagineux, du vin, ou encore une grande quantité de légumes. Si elles rapportent moins que les filières animales en termes de valeur, les filières végétales sont en revanche les plus intenses en main-d’œuvre, notamment dans la viticulture, le maraîchage, l’arboriculture, l’horticulture et les pépinières.

C’est aussi à cette diversité que l’on peut attribuer le degré élevé d’autonomie alimentaire des villes de Nantes et Angers. Trois fois supérieure à la moyenne des aires urbaines métropolitaines françaises en 2017, l’autonomie relative des deux métropoles souligne à son tour la diversité de la production agricole locale et la proximité des zones de production.[REF] À l’échelle de la région, on calcule aussi qu’avec une surface agricole utile deux fois plus étendue que la superficie nécessaire pour subvenir aux besoins de la population ligérienne, la région pourrait s’auto-suffire si toutefois elle s’alimentait en circuits courts. En réalité, comme la répartition actuelle des cultures est largement déterminée par la demande alimentaire du bétail, la région reste fortement déficitaire en fruits et légumes. Pour couvrir l’ensemble de ses besoins, elle devrait donc augmenter de 40 % la surface dédiée à la production légumière et fruitière. 

Ce sont cependant d’autres facteurs qui, aujourd’hui, contribuent à faire évoluer l’usage et la répartition des sols agricoles dans la région. Parmi eux, on peut citer l’étalement urbain qui, de 2009 à 2018, s’est emparé de 107 000 ha, soit environ 4,6 % des terres agricoles de la région.[REF] À leur tour, l’évolution des régimes alimentaires et la demande croissante de produits bio modifient les modes de production. Avec quelque 3 636 exploitations en bio ou en conversion, l’agriculture biologique occupait déjà plus de 10 % de la surface utile agricole ligérienne en 2019.[REF]

Enfin, on sait aussi qu’à la faveur du confinement et, plus globalement, de la forte croissance des jardins communautaires et associatifs, la production potagère destinée à l’autoconsommation a fortement augmenté dans la région. S’il est difficile de donner une mesure à cette tendance et à la place — marginale — qu’elle occupe dans le système alimentaire ligérien, on sait déjà que les 1 200 parcelles potagères mises à la disposition des habitants dans les jardins familiaux de Nantes représentent 24 ha de cultures.[REF] On retient aussi d’une étude menée dans trois villes de l’ouest que la part de légumes autoproduits peut atteindre jusqu’à 18 % de la consommation annuelle des foyers, comme c’est le cas à Alençon.[REF]

Une contribution économique forte

À l’image de la place du secteur agricole dans le territoire, sa contribution à l’économie régionale est également importante et se réalise autour de deux axes : le premier est industriel, le second commercial.

©Région Pays de la Loire / PB. Fourny

Avec 32 830 salariés, 835 établissements répartis sur la totalité du territoire[REF] et 13,4 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2017[REF], le secteur agroalimentaire reste une industrie prédominante qui place les Pays de la Loire au troisième rang national (artisanat commercial non compris). Dominée par la production de viande, de lait et de produits de boulangerie qui représente près des trois quarts de l’activité agroalimentaire ligérienne. L’industrie régionale de transformation des produits agricoles affiche néanmoins une grande diversité de filières : poisson, fruits et légumes, corps gras, travail des grains, pâtisserie, pâtes, aliments pour animaux, boissons.[REF]

À leur tour, les exportations réalisées par la région sont largement portées par son dynamisme agricole et agro-industriel. Pour leur plus grande part, les échanges de produits alimentaires se font avec des partenaires de l’Union européenne — Allemagne, Royaume-Uni, Belgique, Italie et Espagne — et portent sur les produits laitiers ; les viandes de boucherie et de volaille ; les céréales, légumineuses et oléagineux ; les pâtisseries, viennoiseries et pains frais ; les vins.

Globalement excédentaire, le commerce régional de produits agroalimentaires affiche cependant un déficit important avec certains États tels que les Pays-Bas, la Pologne et le Brésil.[REF] Dans le cas du Brésil, le solde négatif renvoie aux tourteaux de soja que la région importe pour répondre aux besoins alimentaires de son bétail. Parmi les autres postes qui tendent à dégrader le solde commercial ligérien, on retient aussi les intrants de synthèse, fertilisants et pesticides, dont la région est également grande consommatrice. Dans les deux cas et avec de nombreux autres facteurs, la dépendance de la région sous-tend aussi la contribution de son système alimentaire aux émissions mondiales de GES. Ensemble, elles reformulent donc aussi la question de l’autonomie alimentaire des territoires qu’il convient désormais de poser à la lueur de la crise climatique et de la nécessité de réduire les consommations d’énergie liées au fret.

II - Un système alimentaire fortement carboné

Le rôle des sols face aux changements climatiques renvoie à la place qu’y occupe l’élevage, aux choix de cultures et aux modes de production.

Changement d’affectation des sols, usages d’intrants, fermentation, fret, conservation, déplacements, gaspillage : il n’est pas un maillon du système alimentaire qui n’engage pas l’émission de GES, qu’elles soient directes ou indirectes. Étudier chacun d’eux permet donc de mesurer la contribution du système alimentaire au dérèglement climatique, mais aussi d’envisager comment réduire l’empreinte carbone du secteur alimentaire dans sa globalité.

Biomasse et changement d’affectation des sols

Face aux changements climatiques, les sols sont une composante majeure des stratégies d’atténuation et d’adaptation. Comme ils interviennent dans les cycles du carbone et de l’azote, ils échangent en effet en permanence des GES avec l’atmosphère, qu’ils les séquestrent ou qu’ils les relâchent. La gestion agricole des sols constitue donc un levier critique pour lutter contre le réchauffement climatique, qu’il s’agisse de réduire les émissions de GES ou d’en améliorer le bilan net, par exemple en stockant plus de carbone dans les sols.

En agissant sur les stocks de GES séquestrés dans le sol par exemple, le changement d’affectation des terres modifie directement le bilan carbone d’un territoire, que ce soit par le déstockage de CO2 lorsqu’une prairie ou une forêt est remplacée par une culture ou, au contraire, par l’afforestation d’une parcelle qui permet d’y améliorer la captation du CO2 jusqu’à offrir un nouveau puits de carbone sur la longue durée (plus d’un siècle).

C’est d’ailleurs ainsi qu’en dépit du recul des sols naturels et des terres agricoles au profit de l’étalement urbain, le secteur UTCF des Pays de la Loire conserve un bilan carbone positif à ce jour, à la faveur, notamment, de la croissance de la forêt ligérienne, mais aussi de la séquestration de CO2 des prairies et haies bocagères qui composent 46 % de la surface agricole utile (SAU).[REF] Ensemble, ces espaces agricoles offrent d’augmenter encore le stockage régional de GES grâce à l’amélioration de la gestion des prairies permanentes, l’allongement de la durée des prairies temporaires, l’amélioration de la gestion des haies par des plans de gestion durable et l’enherbement inter-rang des vignes. Cependant, examiné dans sa globalité, le rôle des sols face aux changements climatiques renvoie rapidement à la place qu’y occupe l’élevage, aux choix de cultures, aux modes de production et à leurs impacts sur le climat.

Bien que l’achat de produits phytosanitaires n’engage pas nécessairement l’utilisation de ces derniers, on observe une forte corrélation entre ces deux variables.

L’empreinte de l’élevage

Situé en amont du système alimentaire, le secteur agricole des Pays de la Loire émet chaque année 8,5 MteqCO2 de GES — soit près du tiers des émissions régionales totales — dont près des trois quarts (73 %)[REF] reviennent aux activités d’élevage, qu’il s’agisse du protoxyde d’azote (N2O) généré par l’usage d’engrais azoté pour la production de fourrage ou bien du méthane issu de la fermentation entérique des bovins et des déjections d’élevage dans les sols anoxiques (caractérisés par l’absence d’oxygène). Avec un pouvoir de réchauffement global sur cent ans 310 fois plus élevé qu’une masse équivalente de CO2[REF], le N2O constitue, comme le méthane (CH4), un GES particulièrement puissant qui, par ailleurs, contribue aussi à la destruction de la couche d’ozone (O3).

Globalement, on calcule que les engrais minéraux (azote, phosphate ou potassium) sont responsables de 9,3 % des émissions du secteur agricole des Pays de la Loire.[REF] Comme leur plus grande part est importée, il faut également ajouter à l’impact de leur utilisation le CO2 émis pendant leur acheminement et, auparavant, celui émis pendant leur fabrication. Un impact dont celui de la fabrication des engrais dans les Pays de la Loire donne la mesure puisqu’à elle seule, la fabrication d’engrais minéraux et organo-minéraux dans les Pays de la Loire représente 2,5 % des émissions régionales, soit 793kteqCO2.[REF]

Au-delà des engrais, la prédominance de la production animale place aussi la région des Pays de la Loire en situation de forte dépendance vis-à-vis des importations d’aliments pour le bétail dont la région capte un quart des importations nationales. Chaque année par exemple, plus d’un million de tonnes de tourteaux de soja en provenance du Brésil transitent ainsi par le port de Montoir-Saint-Nazaire, soit plus de 520 kteqCO2 auxquelles il convient aussi d’associer les impacts de la déforestation amazonienne.[REF]

En matière énergétique enfin, on calcule qu’à l’échelle de la consommation totale de la région, celle du secteur agricole ligérien en représente 5 % et qu’elle se répartit principalement entre les machines et engins (55 %) et le chauffage des bâtiments (21 %).[REF]

La part de la pêche

Quoique les activités liées à la pêche, à la pisciculture et à la conchyliculture représentent une filière importante dans le système alimentaire et l’économie de la région. il n’existe pas à ce jour de données régionales sur les émissions de GES liées aux activités qu’elle rassemble, qu’il s’agisse de l’énergie nécessaire aux navires, à la conservation des ressources (chaîne du froid), à la fabrication des engins de pêche et autres équipements (glace, caisses en plastique ou en polystyrène, etc.), ou à la transformation et à la distribution des produits alimentaires finaux.

Cependant, l’estimation de la consommation annuelle des 350 navires de pêche ligériens par extrapolation des moyennes nationales[REF] laisse penser que la seule activité de la pêche maritime contribue peu à l’effet de serre, puisqu’avec quelque 17 millions de litres par an, elle consomme moins de 1 % du carburant utilisé à l’échelle régionale.[REF]

La contribution carbone de l’industrie agroalimentaire

Avec 624 kteqCO2 émises en 2018, les industries agroalimentaires des Pays de la Loire sont quant à elles responsables de 13 % des émissions du secteur industriel de la région [REF], qui s’élèvent au total à 4,8 MteqCO2 sur la même année. Pour leur plus grande part, elles renvoient à l’énergie utilisée par le secteur, soit 23 % de la consommation totale d’énergie de l’industrie ligérienne, et dans une moindre mesure, aux fuites de fluides frigorigènes utilisés pour le refroidissement.[REF] Surtout, on retient que contrairement à toutes les autres branches industrielles dont les émissions ont baissé depuis dix ans, celles de l’industrie agroalimentaire ont augmenté de 15 % entre 2008 et 2018.[REF]

Les émissions multiples de la distribution

Comme à chaque produit alimentaire fabriqué ou consommé sur le territoire correspond, le plus souvent, une part de production locale, mais aussi des produits cultivés ou fabriqués dans d’autres aires géographiques, il importe de comptabiliser les GES relâchés pendant leur fabrication et leur acheminement, ou encore ceux émis lors de la distribution des produits finaux jusqu’au consommateur.

 

Le transport de marchandises

Centrales d’achat, commerces de gros, établissements de logistique, marchés d’intérêt national (MIN) : à la faveur du développement et du rayonnement du secteur agroalimentaire ligérien, le système de stockage, de conservation, de fret et de distribution des produits alimentaires y génère à la fois des revenus économiques substantiels, un grand nombre d’emplois et une importante consommation d’énergie dont la plus grande part revient au transport.

En 2015 par exemple, le secteur du transport routier et du fret interurbain des produits alimentaires employait à lui seul 28  % des actifs de la filière logistique, contre 18 % pour l’ensemble de la France métropolitaine.[REF] À son tour, le commerce de gros, dont le chiffre d’affaires de 13 milliards d’euros équivaut à celui des industries agroalimentaires, compte près de 10 000 salariés répartis dans 1 120 entreprises.[REF] S’agissant des émissions de GES en revanche, il n’existe pas de données régionalisées pour le transport de marchandises alimentaires. Cependant, quelques statistiques nationales suffisent à donner un ordre de grandeur. Un rapport de l’ADEME indique ainsi que l’alimentation des ménages en France génère un trafic de 201 milliards de tonnes-kilomètres.[REF] Si la plus grande part du fret alimentaire (57 %) est réalisée par voie maritime, c’est la part routière qui contribue le plus aux émissions de GES du transport de produits alimentaires (83 %) tandis que l’avion en émet 5 % pour 0,5 % de marchandises transportées. Globalement, on retient aussi que le transport des denrées produites en France représente près du quart du trafic routier (23 %), mais près de la moitié des émissions de CO2 (47 %). À lui seul, le transport des produits destinés à l’alimentation animale — des tourteaux en majorité — émet 19 % du volume total de GES lié au transport alimentaire derrière les fruits et légumes qui en émettent 31 %.

Sachant que la région est à la fois importatrice et exportatrice de produits alimentaires dont une grande part de produits animaux, mais aussi que l’essentiel du transport des produits alimentaires ligériens est effectué par voie routière, on ne doute pas de la part importante des émissions de GES que représente leur acheminement (camion, réfrigération…) dans les émissions régionales totales. Se pose donc de nouveau la question du développement de réseaux régionaux alternatifs, ferroviaires et fluviaux, pour réduire le volume de GES émis par le système alimentaire des Pays de la Loire.

 

Le bilan incertain des circuits courts

Plébiscités par les exploitants de l’agriculture biologique, les circuits courts connaissent aujourd’hui un véritable essor dont la grande distribution s’empare de plus en plus, en associant alors volontiers la proximité du producteur à une empreinte GES réduite. Déjà 18 % des exploitations de la région commercialisent leur production en vente directe ou avec un seul intermédiaire, contre 11 % en 2000.[REF] Pour les exploitations agricoles biologiques ligériennes, la part s’élève même à 55 %.[REF] De son côté, la chambre d’agriculture estime que les ventes en circuits courts représentent aujourd’hui entre 8 % et 9 % du chiffre d’affaires de l’agriculture ligérienne.[REF] Si l’on sait que les circuits courts permettent de réduire à la fois le temps de conservation réfrigérée, l’usage d’emballages et avec eux, la production de déchets de conditionnements, mais aussi la consommation de fluides frigorigènes et d’énergie, il demeure difficile — faute de données disponibles — de rapporter précisément l’empreinte des circuits courts à celle des modes de vente traditionnels. Pour y parvenir, il faudrait pouvoir comparer les émissions liées à l’acheminement des produits. Dans tous les cas, sachant que les circuits courts engagent des déplacements plus fréquents pour de plus petits volumes et que les émissions par kilomètre parcouru d’une tonne transportée sont plus faibles en camion de 32 t ou en cargo qu’en camionnette de 3,5 t, on peut donc penser que l’évolution du parc de véhicules sera déterminante pour réduire l’empreinte carbone des circuits courts.[REF]

La part des consommateurs

C’est finalement à l’échelle des consommateurs que se joue la dernière part d’émissions de GES du système alimentaire, en fonction de plusieurs facteurs : le régime alimentaire (voir encadré), le lieu d’approvisionnement, le transport utilisé pour s’y rendre, le mode de préparation et le niveau de gaspillage. Ainsi, un français parcourt en moyenne 1 360 km par an pour son alimentation — dont 80 % pour ses achats et 20 % pour se restaurer hors de son domicile —, soit un volume annuel de GES de 8,5 MteqCO2.[REF] On sait aussi que si les établissements alimentaires de petite taille (restaurants, petits commerces, cafés, traiteurs) consomment globalement autant d’énergie que la grande distribution ou le commerce de gros, leurs émissions sont en revanche plus élevées à la faveur de la cuisson des aliments et de l’usage répandu du gaz naturel. Sur ce point d’ailleurs, on calcule qu’en France, la préparation des produits alimentaires (conservation, cuisson…) émet globalement 11 MteqCO2 réparties à parts égales entre restaurants et domiciles.[REF] Pour sa part, la restauration collective au sein des établissements d’enseignement, hôpitaux et maisons de retraite représente 13 % des émissions du secteur tertiaire, tandis que restaurants, cafés et traiteurs en émettent environ 5 %.[REF] Dans les Pays de la Loire, les commerces alimentaires représentent 10 % des GES des bâtiments tertiaires qui s’élèvent au total à 1,4 MteqCO2.[REF]

L’empreinte évitable du gaspillage

Qu’il s’agisse de production, de transformation, de distribution ou de consommation : globalement, toutes les étapes de la chaîne alimentaire et toutes les familles de produits sont concernées par le problème de pertes et de gaspillages. Autrement dit, tous les acteurs du système alimentaire ont un rôle à jouer pour réduire l’ampleur du phénomène et, ce faisant, pour réduire les émissions de CO2 correspondantes. Pourtant, en dépit de l’importance des enjeux climatiques et de celle des secteurs agricole et agroalimentaire dans les Pays de la Loire, il n’existe pas à ce jour de données sur le niveau de pertes et du gaspillage alimentaires à l’échelle de la région. Par défaut et pour donner une mesure aux émissions qu’ils engagent, on peut cependant reprendre les valeurs nationales : au total, on estime que le gaspillage, qui représente chaque année en France 18 % de la production alimentaire, émet quelque 15,3 millions de teqCO2, soit 3 % du volume annuel total des émissions de GES.[REF]Dans le détail, on constate que le phénomène touche plus particulièrement les filières des fruits et légumes (23 % de perte et gaspillage), des grandes cultures (20 % de perte et gaspillage) et des produits d’origine animale (12 % de perte et gaspillage). Quant à la répartition des pertes au fil de la chaîne alimentaire, c’est au stade de la production qu’elle est le plus marquée (32 %) et à celui de la consommation (33 %).[REF] Enfin, il faut rappeler le rôle du suremballage qui pèse doublement sur le transport des produits transformés et le traitement des déchets et pour lequel aucun progrès significatif n’a encore été réalisé.

UNE QUESTION DE RÉGIME ALIMENTAIRE

La première façon de calculer l’impact climatique de l’alimentation sur un territoire donné consiste à ajouter les volumes de CO2 émis aux stades de production, transformation et distribution des denrées produites sur le territoire. La seconde, qui part des modes de consommation, fait la somme des émissions générées de la production à l’assiette en incluant les produits importés et consommés localement, tout en excluant ceux produits localement mais consommés hors du territoire. Plus difficile à calculer, l’empreinte carbone présente cependant l’intérêt d’identifier des pistes d’actions supplémentaires pour réduire les GES liés à l’alimentation de la population à l’échelle du territoire. Ainsi, deux variables apparaissent qui déterminent l’impact climatique de la consommation alimentaire : la part de produits carnés et la part de produits biologiques.

S’agissant de l’empreinte carbone de la consommation de viande et de produits laitiers, on peut utilement rapporter les conclusions d’une étude menée par l’ADEME à l’échelle nationale.[REF] Elle révèle que la consommation alimentaire des Français représente un quart de leur empreinte carbone totale, mais aussi que 65 % des GES liés à leur alimentation sont émis lors de la production, 20 % lors du transport et 15 % au moment de la consommation. Surtout, l’étude vérifie que la part des produits animaux constitue une variable critique : tandis qu’un régime végétalien est responsable de l’émission de 315 kgeqCO2 par an en moyenne, la consommation quotidienne de 170 g de viande porte le niveau annuel d’émissions de GES à 1 900 kgeqC02 par an (importation comprise, mais hors transport, distribution et préparation). Sur ce point, on retient aussi que pour les auteurs du 6e rapport du GIEC[REF], « Le plus grand potentiel [pour réduire les émissions de GES] par transition viendrait du passage à des régimes tournés vers les protéines végétales ». C’est ce que vérifie l’ADEME qui calcule qu’une baisse de 10 g de viande par jour conduit à une baisse de 5,2 % des émissions totales de GES de la production agricole.

À son tour, et à quantité produite égale, l’alimentation biologique permet aussi de réduire l’impact climatique de l’agriculture malgré la part supplémentaire de terre qu’elle exige pour compenser les moindres rendements. On estime ainsi qu’une même assiette relâche 1 856 kgeqCO2 par an en agriculture conventionnelle pour seulement 1 160 kgeqCO2 en agriculture biologique. On peut donc estimer que le passage d’une agriculture conventionnelle à une agriculture biologique pourrait faire baisser les émissions de GES de la région de 8,4 %. Déjà, on retient qu’entre 2009 et 2019, les surfaces en légumes biologiques ont été multipliées par 4, celles en fruits par 3,3 et les surfaces viticoles par 3,2. Enfin, bien que l’on ne dispose pas de données chiffrées qui mesurent l’empreinte carbone de la consommation de la nourriture bleue dans sa globalité, on sait qu’elle varie énormément d’une filière à l’autre. Ainsi, on calcule que les crevettes sauvages génèrent 11 fois plus de CO2 par kg que les bivalves et les algues d’élevage. Surtout, on connaît de mieux en mieux les autres impacts écologiques et le stress que pêche et élevage exercent sur les écosystèmes terrestres et marins : altération des chaînes alimentaires, épuisement des stocks, prise d’espèces protégées, pollutions plastiques, utilisation des terres, utilisation d’eau potable.

III - Un système alimentaire surexposé aux changements climatiques

Face à la baisse progressive de la ressource en eau, les collectivités devront opérer des arbitrages de plus en plus délicats entre les différents usagers de l’eau.

Comme le système alimentaire agrège les productions locales et des produits bruts ou transformés importés, il expose la région aux impacts des changements climatiques de plusieurs manières : en modifiant la disponibilité en eau ; en affectant la qualité de certaines productions ; en favorisant l’apparition de phénomènes ou d’espèces nuisibles… S’il convient donc de tenir compte de l’ensemble de ces facteurs pour quantifier et qualifier la vulnérabilité du système alimentaire ligérien, la présente synthèse se concentrera sur les impacts les plus directs des changements climatiques sur les productions agricoles, aquacoles et halieutiques.

Impacts sur les cultures

Comme il consomme beaucoup d’eau, qu’il dépend des rythmes saisonniers et qu’il est sensible aux températures, aux intempéries et au niveau de CO2 dans l’air, le secteur agricole compte certainement parmi les plus exposés aux changements climatiques qui, peu à peu, déterminent le choix des cultures et reprogramment la période des semis et des récoltes. Déjà, les producteurs régionaux de pommes ont pu identifier plusieurs types d’impacts sur leurs récoltes : altération de la coloration des fruits et de leurs qualités organoleptiques (odeur, goût, texture et consistance), dégâts accrus des ravageurs, décalage des périodes de récolte et besoins énergétiques accrus pour la conservation des fruits. En exposant les bourgeons aux gels printaniers et en dissociant la période de floraison et celle des pollinisateurs, la précocité de l’inflorescence agit pour sa part en hypothéquant le rendement des arbres fruitiers et, avec lui, les revenus des producteurs.

À leur tour, les cultures de plein champ et les fourrages sont fortement affectés par les changements climatiques. Quand elles se combinent, par exemple, l’intensification des pluies en hiver et l’élévation des températures moyennes ont pour effet d’aggraver la sensibilité des sols hydromorphes et donc d’y rendre le travail plus difficile. Pour y remédier, il est possible de réaliser des semis et mises à l’herbe plus tôt dans l’année, en avançant ainsi aussi la maturité des prairies. Cependant, quand il se produit au printemps, le pic de production peut ne pas être exploité par manque de portance des sols. En se combinant, l’élévation des températures et l’augmentation du CO2 dans l’atmosphère agissent quant à elles sur le cycle biologique des végétaux dont elles accélèrent les stades phrénologiques (croissance, germination, floraison et récolte). Déjà observable dans la région, le phénomène qui est amené à s’amplifier invite donc à mettre en œuvre des stratégies d’adaptation consistant, par exemple, à favoriser la polyculture ou à introduire de nouvelles espèces accessibles comme le soja. Cependant, il convient alors de tenir compte d’autres facteurs liés au dérèglement climatique qui impactent les cultures de façon différenciée.

Parmi eux, le développement des insectes ravageurs n’est pas le moindre, qu’ils soient exogènes ou déjà présents sur le territoire comme la pyrale, l’insecte ravageur du maïs. Également sensible à la chaleur, le cycle biologique de la pyrale s’amorce de plus en plus tôt dans l’année. Ce faisant, la probabilité augmente qu’une deuxième génération de pyrale se développe dans la saison et qu’elle dégrade davantage encore le rendement du maïs.

agriculture
©Région Pays de la Loire / PB. Fourny

À ce risque s’ajoute aussi celui lié au manque d’eau pendant les mois les plus chauds et secs de l’année et qui pèse à son tour sur la productivité céréalière, plus particulièrement dans l’est ligérien. Pour faire face à la nouvelle donne climatique régionale, plusieurs stratégies d’évitement sont déjà mises en œuvre. Comme elle permet d’effectuer les récoltes dès début juin, l’association de céréales et de protéagineux contribue, par exemple, à réduire les risques liés aux fortes chaleurs. Cependant, comme elle a aussi pour effet de réduire la production fourragère totale, elle impose de lui affecter davantage de surfaces au détriment des autres cultures. Pour leur part, les stratégies d’adaptation recommandent de développer des prairies agiles ou multi-espèces pour réduire les risques. Pour autant, cela ne préserve pas l’agriculture régionale du problème de l’eau.

Impacts sur la disponibilité et la qualité de l’eau

Comme il associe l’élévation des températures à une nouvelle répartition de la pluviométrie, les changements climatiques — qui favorise l’évaporation des sols et l’évapotranspiration des végétaux — expose la région au phénomène de stress hydrique alors qu’au même moment, les besoins en eau des cultures et du bétail sont appelés à augmenter. Exposées aux sécheresses agricoles qui seront donc plus fréquentes et plus intenses, cultures et prairies pourraient progressivement afficher des rendements plus faibles venant ainsi affecter la plupart des filières : celle de l’élevage qui se trouvera fragilisée par la moindre productivité des cultures fourragères ; celle des fruits et légumes maraîchers dont la production pourrait être interrompue à certaines périodes de l’année ; celle du colza ou des prairies dont les semis pourraient ne pas résister aux sécheresses estivales.

Poussée par les besoins en eau accrus en période de sécheresse, la demande d’irrigation pourrait à son tour être de plus en plus difficile à satisfaire puisque les cours d’eau et les nappes seront eux aussi soumis à des tensions de plus en plus fortes (baisse des débits d’étiages et du niveau des nappes). Dans le Maine-et-Loire, on calcule ainsi que la demande en eau liée aux changements climatiques et destinée à l’irrigation devrait progresser de 28 % entre 2020 et 2050.[REF] Or, ici comme ailleurs, elle s’ajoutera à la progression parallèle et globale de la demande en eau, qu’il s’agisse des usages domestiques (amplifiée par la hausse démographique) ou besoins industriels.

Confrontées à la baisse progressive de la ressource et à l’augmentation prévisible de la demande en eau dans la région, les collectivités seront amenées à y opérer des arbitrages de plus en plus délicats entre les différents usagers de l’eau et à mettre en place des mesures toujours plus draconiennes d’économie, voire de restriction de prélèvement et d’utilisation.

Sans attendre que les changements climatiques aiguisent la pression sur l’eau dans les Pays de la Loire et, avec elle, les tensions autour des usages, il importe aussi de rappeler ici l’impact de l’agriculture régionale sur l’état de l’eau dont la qualité chimique a été fortement dégradée par la diffusion généralisée de pesticides, nitrates et phosphore dont on détecte les molécules et les métabolites dans les nappes de la région.

Impacts sur la vigne

Qu’il s’agisse de la productivité des vignes, de la réaction des cépages ou de la qualité finale des vins : il n’est pas une étape de la production vinicole qui ne soit pas exposée aux changements climatiques. Globalement, avec la plus grande fréquence des périodes de forte chaleur, la modification des précipitations et le risque accru de sécheresse, les rendements viticoles seront de plus en plus souvent affectés, mais aussi de plus en plus aléatoires. Aux hivers de plus en plus doux correspond un bourgeonnement précoce des végétaux, des vignes en particulier.

Bien logiquement, au bourgeonnement précoce de la vigne correspondent aussi un débourrement, une floraison, une véraison et des récoltes plus précoces. Ainsi, le décalage de la phase de mûrissement des raisins plus tôt dans l’été expose les vignes aux orages chauds et humides propices au développement des champignons. Enfin, on constate qu’en l’espace d’une quarantaine d’années, la période de vendanges des cépages d’Anjou et de Saumur a été avancée de deux à trois semaines.[REF]

Qu’un gel ait lieu au même moment et ce sont des récoltes entières qui peuvent être anéanties. En France, on compte par exemple que les changements climatiques ont déjà augmenté d’environ 60 % le risque qu’une vague de froid survienne en période de bourgeonnement.[REF] Les mêmes calculs indiquent aussi que la probabilité de gelées survenant pendant la période de croissance des cultures devrait encore augmenter de 40 % dans les prochaines décennies.

Impacts sur les zones basses agricoles

Parmi les espaces agricoles à la fois spécifiques et particulièrement vulnérables aux effets des changements climatiques, on peut aussi citer ceux de l’estuaire ligérien où l’élévation du niveau de la mer expose à un ennoiement plus fréquent des prairies humides de pâturage. Or en plus de réduire l’accès des troupeaux aux prés-salés, le phénomène expose aussi les éleveurs à un problème d’abreuvement à mesure que la salinité augmentera dans les canaux des marais. Comme elle accroît le phénomène de submersion et qu’elle augmente la salure de la zone, l’élévation du niveau de la mer pourrait aussi y entraîner un recul des prairies de fauche. Ainsi, en plus de diminuer la quantité de fourrage disponible pour le bétail en pâture, elle expose alors la région au développement des roselières et à la modification de sa biodiversité.

Impacts sur l’élevage

Quoique les animaux montrent plus de résilience que les cultures, ils restent très sensibles aux changements climatiques dont les impacts affectent l’élevage ligérien de plusieurs façons. La première renvoie aux effets de l’élévation des températures sur le bétail : en plus d’accroître la demande en eau pour l’abreuvement du bétail et de potentiellement proscrire le pâturage en période estivale, les vagues de chaleur exposent en effet les animaux au stress thermique. Pour les ruminants, ce dernier s’amorce dès 20 °C et se décline de plusieurs façons : altération de l’ingestion, baisse de la fertilité, diminution de la production de lait, surmortalité dans les bâtiments d’élevage dépourvus de système de régulation thermique. De la même façon, une forte hausse des températures expose les volailles au phénomène de coup de chaleur qui, en provoquant une hausse anormale de la température de l’animal, réduit leurs performances et augmente la mortalité dans les exploitations. Au-delà des vagues de chaleur, on observe aussi que les modifications de l’environnement favorisent ensemble le développement de certains parasites, la migration géographique des virus et celle de leurs vecteurs. Or, sachant que la variabilité des conditions météorologiques affecte aussi les réponses physiologiques et immunitaires des animaux, il est probable qu’avec le temps, épizooties, zoonoses ou arboviroses deviennent de plus en plus difficiles à maîtriser, exposant alors à la fois les animaux, les êtres humains et les activités associées.

À ces deux exemples d’impacts des changements climatiques sur l’élevage on peut également associer les nombreux aléas que les changements climatiques entraînent ou accentuent, et qui exposent globalement la productivité des élevages et la pérennité des exploitations : inondations, tempêtes, submersions, sécheresses ou vents violents. Ensemble, ces phénomènes soulignent l’importance de pouvoir entreprendre des mesures d’adaptation pour préserver les exploitations de la région sur la durée.

Finalement, compte tenu du poids de l’élevage dans le système alimentaire de la région, sa vulnérabilité aux changements climatiques soulève donc une triple problématique : alimentaire, économique et sanitaire. Au-delà cependant, elle souligne aussi les risques liés à la dépendance de la filière : comme la guerre en Ukraine vient en effet de le rappeler, plus les systèmes d’élevage ligériens dépendent des importations pour nourrir leur bétail, plus ils exposent leur sécurité fourragère à des risques qu’ils ne peuvent pas gérer et qui viennent aggraver la vulnérabilité du secteur agricole ligérien aux changements climatiques.

Impacts sur la production marine

Réchauffement et acidification des eaux, stratification et désoxygénation des eaux de surface (0 à 1 000 m) au niveau mondial, élévation du niveau de la mer, augmentation de la fréquence des événements météorologiques extrêmes : comme ils modifient à la fois le cycle des nutriments dans l’océan ouvert et la distribution spatiale des organismes marins, les effets du forçage climatique sur l’environnement marin impactent finalement toute la vie océanique, quoique d’une manière variable d’une mer à l’autre. Ce faisant, c’est aussi toute la filière halieutique et aquacole qui se trouve impactée, des activités de pêche et d’élevage à celles de conserverie, affectant alors aussi le système alimentaire. Ainsi, l’élévation des températures océaniques mène de nombreuses espèces à modifier leurs aires de répartition. Ce faisant, elle modifie la chaîne alimentaire et la disponibilité de ressources halieutiques. Dès à présent, on vérifie également qu’en affectant la production primaire dont dépendent la croissance, la reproduction et la survie des stocks halieutiques, le réchauffement des eaux dégrade aussi le volume et la composition des captures de pêche en mer à l’échelle mondiale. Dans le golfe de Gascogne, la taille et le poids moyens des anchois et des sardines ont diminué, sous l’effet possible d’un changement de nourriture.[REF] Au total, on estime qu’à l’échelle mondiale, depuis le milieu du XXe siècle, le taux de renouvellement des stocks halieutiques a déjà reculé de 3 % par décennie[REF] entraînant une diminution moyenne du potentiel de captures durables de 4,1 % sur la même périodicité.[REF] Pour le moment, le changement n’est pas notable au niveau du golfe de Gascogne, possiblement caché par une réduction de la surpêche.

© Région Pays de la Loire / Vigouroux - Perspective

Pour sa part, le phénomène d’acidification océanique réduit la capacité des huîtres à résister aux maladies tandis que l’augmentation de la fréquence des efflorescences d’algues toxiques, elle, perturbe les filières halieutiques et aquacoles.

Enfin, sans qu’il soit possible de donner de mesure à la contrainte énergétique sur les activités de pêche, il convient de rappeler ici la sensibilité des bateaux aux prix du gasoil dont l’augmentation pourrait amener, avec la contrainte carbone, au repli côtier de certaines activités de pêche dans un espace déjà concurrentiel, voire modifier les pratiques de pêche pour des engins moins consommateurs d’énergie.